Contre-jour

/ ÉCRITURE DE LA PRÉFACE & MISE EN PAGE DU LIVRE de Kitty Holley


Kitty Holley à contre-jour

Lorsqu’elle m’ouvre la porte de sa jolie maison, Kitty Holley, en robe noire et veste longue aux motifs orientaux, est volubile et tout sourire. Elle évolue avec souplesse telle une panthère noire dans son intérieur éclectique, cabinet de curiosité où meubles anciens et modernes mêlés portent des objets du monde, étranges et merveilleux récits de voyages, où les couleurs franches de ses toiles dansent sur les murs blancs. Nous restons un moment dans son atelier. Ses mains dessinent dans l’espace les courbes des dernières œuvres qui tournoient en volutes bleues sur le mur. Sur une table, les pinceaux, larges et drus se serrent en bottes dans des pots. 

De retour dans la maison, nous nous installons dans le salon où le feu ronronne doucement dans la cheminée, en cet après-midi de février. Kitty prend le temps de se caler dans son fauteuil, et commence à me lire des passages de Contre-jour. C’est une joie d’entrer dans un texte par la voix. Celle de Kitty, claire et posée, donne chair à ses mots et la magie opère immédiatement. Très vite je retrouve le plaisir de lecture d’Éphémère Éternité, son précédent livre. 

Chez moi, à la tombée du jour, je lis le manuscrit en entier jusque tard dans la nuit. Et je me souviens de la voix de Kitty qui prononçait si joliment le « e » du mot « vie » comme pour faire resplendir l’aura que ses trois petites lettres n’ont pas le temps d’exprimer. La vie, sa vie, son regard bleu sur cette «parenthèse dans nos vies  » ces deux dernières années.  
En l’écoutant, je ressentais qu’il y a chez elle une jouissance de l’écrit aussi intense et aussi vitale que celle qui irrigue son travail de peintre. « Depuis toujours, je sais que je vais écrire », me confiera-t-elle lorsque nous nous retrouverons à nouveau pour parler de son livre. 
En quarante-cinq fragments de sa vie de femme et d’artiste, de retours à l’enfance, de réflexions sur la création, Kitty réalise « une envie de dire, de se dire pour mieux clarifier sa pensée ». 
Elle maîtrise l’art de saisir ce qui fait la singularité d’un moment. Le lecteur est libre d’inventer son parcours entre les textes comme le fait un amateur dans un musée.

Très original par sa structure, ce récit poétique peut être lu à la fois comme une réflexion sur la fuite du temps et comme une danse des émotions subtiles qui courent sous la peau. Contre-jour, qui donne son titre à l’ensemble, en révèle la substance à la fin du recueil. L’écriture de Kitty Holley creuse puis inverse la distance entre premier plan ombré et lointains bleutés. 

C’est une vie pleine de contrastes qui se déplie ici, avec retenue et pudeur jusqu’à la dernière ligne, « une allégorie de l’amour de vivre », comme l’écrit si joliment l’artiste Vincent Guzman à propos du travail de Kitty Holley. La dimension musicale du livre est puissante aussi bien dans son architecture que dans son essence.
Ses « à la ligne », intervalles mélodiques qui laissent une grande respiration sur la partie droite de la page, créent des espaces de silence comme celui qui suit la dernière note tenue sur une touche du piano.
Comme dans Éphémère Éternité, Kitty choisit cette forme fluide et généreuse, qui nous laisse entrer dans la danse, qui nous fait une place, nous autorise à nous identifier ou nous imaginer parcourant des chemins jumeaux, nous invite à trouver dans ce blanc et entre les souvenirs évoqués, la voie d’une réflexion sur notre propre vie.
L’emploi de la troisième personne du singulier lui permet de « prendre la distance nécessaire pour avoir la liberté de s’exprimer », de « se mettre comme à l’extérieur d’elle-même » et ainsi nous encourage à cheminer à ses côtés.
Musical, l’esprit de ce livre l’est aussi. La musique tient une grande place dans la vie et l’œuvre de l’auteur, et tout particulièrement ici, dans cette partition dont les notes mettent en mouvement des réminiscences d’instants de vie joyeux, parfois douloureux. Ces écrits sont faits pour être portés par les modulations d’une voix, pour être écoutés autant que lus en silence. Le regard de Kitty, sensible à la présence, s’ouvre à la dimension poétique de chaque situation, il recherche inlassablement dans ses lignes mémorielles le sens et la beauté de la vie.
Kitty se fait mosaïste, une tesselle de vie après l’autre, et l’ensemble dessine le portrait chatoyant d’une femme « ivre de liberté » qui engage tout son corps, parfois blessé ou contraint par les confinements mais toujours en mouvement, en désir de mouvement, de danser sa vie, un corps qui « irradie d’une force lumineuse ».

D’une page, l’autre, on voyage, vire et volte, on sourit, on est saisi par l’émotion. Avec elle, on déambule comme dans un rêve de Rio de Janeiro à Alep, de Venise à Kyoto, du Chili à la Touraine, des vestiges archéologiques du Mexique aux « îles posées sur la mer intérieure » en Bretagne, et toujours au long des rues et des boulevards de la rive gauche à Paris, inlassablement parcourus.
Ces fragments de vie sont des voyages dans l’espace mais aussi dans le temps. « L’enfance perdue », « les peurs enfantines », les lieux de son enfance dans ses yeux d’aujourd’hui, « trois beaux enfants », ses petits-enfants : par petites touches ses mots soulignent l’extrême importance de la transmission des savoirs, des impressions et des images d’une génération à l’autre. 

La meilleure attitude pour aborder ce livre est de se placer dans les pas de Rainer Maria Rilke lorsqu’il écrit dans ses Lettres à un jeune poète : « Les œuvres d’art sont d’une infinie solitude ; rien n’est pire que la critique pour les aborder. Seul l’amour peut les saisir, les garder, être juste envers elles. Donnez toujours raison à votre sentiment à vous contre ces analyses, ces comptes-rendus, ces introductions. Eussiez-vous même tort, le développement naturel de votre vie intérieure vous conduira, avec le temps, à un autre état de connaissance. » (1)

Barbara Sabaté Montoriol
Île-aux-Moines, le 20 mars 2022

(1) Rainer Maria Rilke, Lettres à un jeune poète (Lettre III, du 23 avril 1903, trad. Bernard Grasset et Rainer Biemel, Les Cahiers rouges, Grasset, 1985, PP. 33-34)

Kitty Holley est une artiste peintre et écrivaine. Formée aux Beaux-Arts et à l’Architecture, elle grandit dans les milieux artistiques parisiens des années cinquante. Sa peinture est marquée par des années de pratique de danse : une métabolisation par l’expérience du corps pour un résultat en mouvement. Elle expose ses peintures dans différentes galeries et musées dans le monde, notamment en Inde, au Brésil, en Chine, au Chili, en Finlande, en France, au Canada, en Italie et en 2023 au Musée d’Arts et d’Histoire de Cholet.Elle publie ses recueils de poèmes aux éditions Unicité. Toute son œuvre se situe à la croisée entre les Arts, les Sciences et les Lettres. Elle est récompensée par l’Académie Arts Sciences et Lettres, et reçoit le Prix Pierre Cardin section peinture.