
Crèche de la Madeleine 2019
Les EpouxP – Pascale & Damien Peyret
/ Accompagnement du projet / Recherches iconographiques
/ Travail sur les images / COMMUNICATION GRAPHIQUE
Depuis la base de la colonne, une volute se déploie et vient se froisser au sol en chaos de papier inspiré des chaos de roches ouverts en failles minérales où s’allongeait la Vierge Marie dans la tradition iconographique byzantine.
Les EpouxP – Pascale & Damien Peyret invitent le visiteur à y lire un écho des convulsions et des inquiétudes du monde d’aujourd’hui. Les froissures de la grande arabesque en soulignent la complexité.

Comme le remarque l’historien de l’art Daniel Arasse, dans l’Annonciation de Fra Angelico de Cortone, les lettres d’or d’une partie de la réponse de la Vierge Marie à l’archange Gabriel disparaissent dans la colonne qui les sépare. C’est que la colonne est une métaphore de la présence du Christ.
Ici, depuis et vers elle, les artistes ont imaginé un dispositif de projection d’images de Nativités des XIVe, XVe et XVIe siècles sur l’enroulement de papier.
Au sommet de la structure, une représentation de l’étoile de Bethléem extraite d’un vitrail allemand du XVe siècle crée un signal que le visiteur est invité à suivre depuis l’entrée de l’église pour cheminer jusqu’à la crèche.


Il faut encore porter en soi le chaos pour être capable d’enfanter une étoile dansante.
Ces mots, extrait du Ainsi parlait Zarathoustra de Friedrich Nietzsche, qui donnent son titre à l’œuvre ponctuent cette fécondité du chaos transfiguré en un double mouvement d’élévation et d’inclination vers et depuis l’étoile. Le déployé de papier se lit alors comme un phylactère annonciateur de la Bonne Nouvelle.

Paris, Église de la Madeleine

Au pied de l’installation, l’enfant à naître — détail d’un grand polyptyque de l’atelier de Rogier van der Weyden — flotte au-dessus du sol dans un halo de lumière d’où part un phylactère d’or qui invite le visiteur à s’avancer et à entrer dans l’intimité de la crèche, à découvrir les anfractuosités du dispositif pour éprouver ce passage de l’ombre à la lumière, comme une expérience spirituelle de l’espace.

151,8 X 274,3 X 44,5 CM, NEW YORK, METROPOLITAN MUSEUM OF ART.
Il faut s’approcher pour découvrir d’autres images de lumière dans cette concavité du papier.
Là se donnent à voir, tour à tour,

le doux geste des mains qui se croisent dans la Visitation — la Vierge Marie et sa cousine Élisabeth dont le drapé du manteau diffuse en dégradé de lumière sa belle teinte vermillon dans le papier de l’installation ;

Une Vierge Marie en robe immaculée — telle un lys blanc, métaphore de sa pureté en iconographie chrétienne — dont les plis sont comme redoublés par ceux du chaos de papier plissé de l’installation.
Avec la lumière qui sourd par dessous, elle semble flotter sur un lac de lune ;


NEW YORK, METROPOLITAN MUSEUM OF ART.

La main tendue d’un ange, flottant sur son nuage, détail extrait d’une Nativité de l’école romaine du XVe siècle, s’étire vers le regardeur dans le creux du papier ;


NEW YORK, METROPOLITAN MUSEUM OF ART.

L’âne et le bœuf, extraits d’une Nativité florentine à fond d’or du tout début du XVe siècle, ont cette grâce précieuse du style gothique international et un regard intérieur d’une grande douceur ;

WASHINGTON, NATIONAL GALLERY OF ART

Les moutons, de la main du grand peintre siennois Duccio di Buoninsegna, projetés dans la grotte de papier, semblent là comme une cavalcade sur une paroi de Lascaux ou d’Altamira ;

Pour ces trois dernières œuvres, la subtilité de ces choix de détails de Pascale et Damien Peyret dans l’iconographie chrétienne est encore amplifiée par une jolie mise en abîme.
En effet, l’ange, l’âne et le bœuf et les moutons de la crèche sont autant de détails extraits d’œuvres qui sont elles-mêmes des petits éléments de plus grands ensembles, aujourd’hui dispersés dans différents musées. Les Nativités d’Antoniazzo Romano, Lorenzo Monaco et Duccio di Buoninsegna sont des prédelles — parties inférieures d’un retable polyptyque, développées horizontalement, qui servent de support aux panneaux principaux. Elles peuvent être composées d’une seule planche en longueur, ou de plusieurs éléments.

Pendant ce temps les mages sont en marche, guidés par l’étoile de Bethléem. Ici, Melchior — le plus âgé des trois selon la légende dorée de Jacques de Voragine qui relatait les épisodes bibliques à la fin du XIIIe siècle — désigne l’étoile qui danse au sommet de l’installation.


110,5 X 73,5 CM, WASHINGTON, NATIONAL GALLERY OF ART

Quand à Joseph, traditionnellement dans une attitude humble et souvent mélancolique dans l’iconographie de la Nativité, il apparaît, comme Marie, à deux reprises dans l’ÉTOILE DANSANTE du duo d’artistes. Dans le tableau du peintre hispano-flamand Juan de Flandes, il lève les yeux vers les étoiles et l’ange qui annonce la bonne nouvelle aux bergers au second plan.
Dans la blancheur du papier de l’installation il est en apesanteur et semble s’élever vers l’étoile qui irradie au sommet.

104,1 X 70,2 CM, NEW YORK, METROPOLITAN MUSEUM OF ART.

Joseph, se manifeste enfin dans l’œuvre des EpouxP, par ce geste des mains protégeant la flamme d’une bougie, peint au milieu du XVIe siècle dans l’atelier du peintre néerlandais Jan Joest van Kalkar.
Ce geste de l’époux de Marie, rappelle que Jésus est né dans la nuit. L’obscurité fait place à la lumière.
Lumière qui dansera dans les yeux des visiteurs qui viendront se recueillir, se reposer, ou simplement rêver devant l’ÉTOILE DANSANTE des EpouxP – Pascale & Damien Peyret à l’église de la Madeleine jusqu’au 31 janvier 2020.