Du 1er au 24 décembre, chaque jour un visage .
Comme le soulignait Daniel Arasse,
« le portrait est inévitablement une méditation sur le temps ».
Ce temps de l’avent — du latin adventus : avènement, arrivée du Messie — représente la période qui couvre les quelques semaines précédant Noël.
Que l’on soit croyant ou pas, c’est un moment particulier dans l’attente du solstice d’hiver où le mouvement repart en direction de la lumière.
Une lumière intérieure affleure dans les regards de ces 24 visages choisis dans l’histoire ancienne et contemporaine de la peinture et de la photographie, parce qu’ils m’ont émue, fascinée, captée.

Ce visage est longtemps resté celui d’une inconnue croisée de loin en loin au détour des pages d’une revue, sur le site de l’Œil de la photographie et sur ceux de galeries d’art chinoises. qui me trouble chaque fois, et laisse dans son sillage un léger malaise.
En le regardant à nouveau aujourd’hui j’ai pensé à cette phrase d’Italo Calvino, dans Les Villes invisibles (1972) : « L’œil ne voit pas les choses, mais leurs images, qui signifient d’autres choses encore ».
Pour décrypter le ressenti complexe que génère cette image, je m’enfonce dans les méandres labyrinthiques du web à la recherche d’éléments biographiques sur son auteur : le photographe chinois Zhang Haier, considéré comme un des principaux acteurs de la photographie d’avant-garde chinoise ayant émergé dans les années 1980, il est l’un premiers à être exposé à l’international. Son travail est notamment présenté aux Rencontres Photographiques d’Arles en 1988.

Né en 1957 dans la ville chinoise de Guangzhou, Zhang est envoyé à la campagne en 1974 pour une rééducation pendant la Révolution culturelle. Il passe l’examen d’entrée à l’université lors de sa réintroduction en 1977. Diplômé en 1982 du Shangai Theatre Academy, il travaille en tant que directeur artistique et set designer avant d’étudier aux Beaux-Arts de Guangzhou. C’est cette même année qu’il épouse sa camarade de classe, Hu Yuanli ; le couple est toujours ensemble aujourd’hui. À cette époque, il commence à photographier sa femme et les femmes autour de lui, adoptant progressivement la photographie comme mode d’expression personnelle.
Comme sur une photo du Studio Harcourt, maîtrise de la lumière cinéma et du clair-obscur, utilisation du Noir & Blanc, clin d’œil au cinéma des années 1920, mais sans la retouche photographique sur-mesure pour parfaire l’image offerte de ce visage un peu fatigué.
Le léger malaise né de la mise en scène de ce portrait — l’uniforme d’homme trop grand que l’on devine enfilé sur un corps nu — ce regard qui regarde sans voir dans un étrange abandon maîtrisé, je le comprends mieux en découvrant le lien entre le photographe et son modèle.
Intimité qui sourd plus encore sur ce cliché de 1992.

Au cours de sa carrière, Zhang a travaillé comme photographe pour News Weekly à Guangzhou de 1995 à 2016, et a longtemps photographié les coulisses des défilés de haute-couture à Paris. Ses images les plus célèbres restent cependant cette série « Bad Girls »1, une collection de portraits sexualisés de femmes pris dans les années 80 et 90 dans sa ville natale. On y retrouve en effet tous les éléments singuliers qui caractériseront l’œuvre du photographe : un regard subjectif, en rupture avec la tradition mimétique de la photographie documentaire de l’époque et une place importante laissée à l’obscurité..
La sensation de n’être pas allée tout à fait au bout de mon enquête me tarabuste : Il y a autre chose dans ce visage, que je reconnais.


J’ai utilisé cette photographie de 1984 de la même Hu Yuanli par son mari Zhang Haier dans un de mes collages (de la série fragments d’elles). Bien que cette image-là soit bien loin de la noirceur underground de la série Bad Girls, et que presque 20 ans séparent les deux clichés, la ressemblance m’apparaît nettement à présent !
