Du 1er au 24 décembre, chaque jour un visage .
Comme le soulignait Daniel Arasse,
« le portrait est inévitablement une méditation sur le temps ».
Ce temps de l’avent — du latin adventus : avènement, arrivée du Messie — représente la période qui couvre les quelques semaines précédant Noël.
Que l’on soit croyant ou pas, c’est un moment particulier dans l’attente du solstice d’hiver où le mouvement repart en direction de la lumière.
Une lumière intérieure affleure dans les regards de ces 24 visages choisis dans l’histoire ancienne et contemporaine de la peinture et de la photographie, parce qu’ils m’ont émue, fascinée, captée.
J’ai pu admirer longuement ce visage, ces yeux en amande sombres et profonds, cette tête inclinée au long cou accentué par des épaules tombantes dans la troisième et dernière salle de l’exposition Amedeo Modigliani. Un peintre et son marchand, (au musée de l’Orangerie jusqu’au 15 janvier 2024).

Amedeo Modigliani se fond dans l’imaginaire saltimbanque de l’artiste bohème. L’absence de documentation et la soif de romanesque ont alimenté sa légende, celle de l’artiste maudit peignant dans des masures sous l’emprise de l’alcool, et emporté trop jeune par la maladie des poètes, la tuberculose.
Aujourd’hui, beaucoup d’historiens de l’art réfutent ce point de vue et évoquent un formidable appétit de vivre plutôt qu’une pulsion d’autodestruction.
Bien que désargentée, la famille de Modigliani — une famille juive séfarade originaire de la péninsule ibérique installée à Livourne en Italie au XVIe siècle — est bourgeoise et cultivée.
Amedeo est formé aux Beaux-Arts à Florence. Beaucoup de ceux qui l’ont fréquenté en parlent comme d’un être d’une grande culture qui parlait plusieurs langues, récitait Dante, lisait Spinoza, la poésie, celle de Mallarmé notamment.

Amadeo Modigliani (Livroune 1884- Paris 1920), huile sur toile, Collection particulière
À son arrivée à Paris en 1906, Modigliani, est peintre. Sa rencontre avec Constantin Brancusi, sculpteur d’origine roumaine, en 1909, agit pour lui comme une révélation : il s’initie à la sculpture et s’y consacre presque exclusivement jusqu’en 1914. Mais il finit par l’abandonner. La difficulté physique et les complications respiratoires provoquées par la taille directe ont potentiellement aggravé sa tuberculose : sa santé lui ordonne de revenir à la peinture.
Tous les ingrédients de son vocabulaire singulier se déploient sur la toile :
Allongement excessif des cous, stylisation des formes, aplatissement des volumes, dissymétrie des yeux souvent peints sans pupille, nez inspirés par la sculpture primitive et les fonds sombres.
Pendant la guerre Modigliani, réformé, part pour Nice où sont peints ces deux portraits, aux fonds très travaillés, très saupoudrés de couleurs, qui sont très vibrants. Dans cette période méridionale, sa palette retrouve de la lumière et les bleus gris de Cézanne.

Le plus grand secret de Modigliani réside dans son art du portrait qui lui donne une place unique dans l’histoire de l’art moderne. Il est le portraitiste de l’avant garde. Les artistes et les poètes défilent sous ses pinceaux : Pablo Picasso, Chaïm Soutine, Ossip Zadkine, Moïse Kisling, sa grande passion pendant deux ans, la poétesse et journaliste Beatrice Hastings, Max jacob, Guillaume Apollinaire, Jean Cocteau et ses marchands, Paul Alexandre, Paul Guillaume et Léopold Zborowski.
Il y a aussi beaucoup de portrait d’anonymes — comme celui-ci — rencontrés dans les différents quartiers qu’il fréquente, de Montmartre à Montparnasse.1
C’est Patrick Modiano qui évoque avec le plus d’éloquence l’œuvre de l’artiste italien :
« C’est le rôle du poète et du romancier et du peintre aussi de dévoiler ce mystère et cette phosphorescence qui se trouve au fond de chaque personne.
Je pense à mon cousin lointain le peintre Amedeo Modigliani dont les toiles les plus émouvantes sont celles où il a choisi pour modèle des anonymes, des enfants et des filles des rues, des servantes, de petits paysans, de jeunes apprentis. Il les a peint d’un trait aigu qui rappelle la grande tradition toscane, celle de Boticcelli et des peintres siennois du Quattrocento. Il leur a donné ainsi ou plutôt il a dévoilé toute la grâce et la noblesse qui était en eux sous leur humble apparence. »2
1 Les textes sont issus de notes prises en regardant et en écoutant la conservatrice et commissaire de l’exposition de l’Orangerie, Cécile Girardeau et Modigliani et ses secrets, un film du réalisateur Jacques Lœuille que l’on peut voir sur arte.
2 Patrick Modiano, extrait du Discours de réception du prix Nobel de littérature en 2014.

Matatoune
Quelle belle idée ce calendrier de o’avent ! Merci bcp 😉
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Barbara
Merci beaucoup ! 😊
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