Le dit de l’image #513

Le dit de l’image,
comme une éphéméride du sensible,
une ou des images choisies ou créées
qui appellent des mots, ou l’inverse…

La pluie, dramatique pour certains, providentielle pour d’autres, la pluie brouille nos vitres en ce début d’année.
Traiter de la pluie en peinture est chose rare et difficile. Choisir de peindre le phénomène atmosphérique qui, par définition, brouille la vision relève d’un exercice ardu : il faut passer par-delà un premier plan saturé (…) d’eau et laisser deviner ce qui est encore visible par masse dans les arrières plans.1


Pluie, Vapeur et Vitesse – La Grande Ligne de chemin de fer de l’Ouest, 1844, Joseph Mallord William Turner (1775-1851), huile sur toile, 91 x 121.8 cm, Londres, National Gallery.

Les peintres ne s’y sont pas trompés – on ne compte que très peu de représentations de la pluie en peinture.1
Comme je l’ai éprouvé au Havre il y a quelques jours, chez Gustave Courbet qui inonde littéralement la toile avec des trombes d’eau,1 la pluie est palpable et lourde.

Marine, 1866, Gustave Courbet (1819–1877), huile sur toile, 43,2 x 65,7 cm, Philadelphia museum of art

Au Japon, dans la tourmente ces derniers jours, la pluie est un phénomène climatique couramment représenté (…), car le problème de la couleur de l’eau et de l’atmosphère n’est pas un obstacle à la représentation dans une civilisation qui pense l’espace en termes de zones de suspension et de plages d’équilibre. (…) La plénitude harmonieuse de cette « Averse soudaine » d’Utagawa Hiroshige n’est pourtant retenue par rien, à l’image du tablier du pont dont on ne voit pas les appuis. Tout y est penché, prêt à basculer dans le vide et en même temps retenu.1

Averse soudaine sur le pont Shin-Ōhashi et Atake, de la série Cent vues célèbres d’Edo, 1857, Utagawa Hiroshige (1797–1858), NY, The MET

Pluie noire comme l’encre chez Hiroshige, fine pluie bleue chez Van Gogh, espace barré chez le premier, ouverture presque impressionniste chez le second.
(…) L’inscription de la pluie à même la toile a dû sembler aux yeux de Van Gogh le geste même du peintre (…).
1
Vincent van Gogh a collectionné les estampes japonaises. Il a été influencé par les idées des artistes nippons qui travaillaient en étroite communion avec la nature, étudiant « la plus petite lame d’herbe ». Lorsqu’il s’est installé à Arles en 1888, van Gogh a écrit que se trouver dans le sud de la France était la chose la plus proche de partir au Japon.

Champ mouillé sous la pluie, 1889, Vincent van Gogh (1853-1890), huile sur toile, 73,3 x 92,4 cm, Philadelphia museum of art

À Paris, où le soleil revenu n’a pas encore estompé le reflet brouillé de la balustrade sur le zinc du balcon au moment où j’écris ces mots, je pense au grand tableau de Caillebotte, une vue de mon quartier il y a 147 ans …

Cette intersection complexe, située à quelques minutes de la gare Saint-Lazare, représente en microcosme l’évolution du milieu urbain du Paris de la fin du XIXe siècle. Gustave Caillebotte a grandi près de ce quartier lorsqu’il était encore une colline relativement peu peuplée avec des rues étroites et sinueuses. Dans le cadre d’un nouveau plan urbain conçu par le Baron Georges-Eugène Haussmann, ces rues ont été réaménagées et leurs bâtiments démolis de son vivant.2

Dans cette vue urbaine monumentale, mesurant près de deux mètres sur trois (…), Caillebotte a capturé de manière frappante une modernité vaste et austère, avec des personnages grandeur nature se promenant au premier plan, habillés à la dernière mode.2
La surface très travaillée de la peinture, la perspective rigoureuse et l’échelle imposante (…), sa composition asymétrique, ses formes coupées de manière inhabituelle, son ambiance lavée par la pluie et son sujet franchement contemporain2 me fascinent.

Rue de Paris un jour de pluie, 1877, Gustave Caillebotte (1848-1894), huile sur toile, 212,2 x 276,2 cm, Art Institute Chicago

Je me demande cependant si la sensation de la pluie n’est pas rendue de façon plus tangible dans cette petite étude du musée Marmottan…

Rue de Paris, temps de pluie, Étude, Gustave Caillebotte (1848-1894), huile sur toile, 54 x 65 cm, Paris, musée Marmottan Monet

1 Extraits de Le nuage percé ou la représentation de la pluie en photographie et en peinture, par Céline Flécheux
2 Extraits de la notice de l’œuvre sur le site du Art Institute of Chicago

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