Calendrier de l’Avent 2024 / 24 fenêtres #6

Du 1er au 24 décembre, chaque jour une, des fenêtres vues par les photographes.

Que l’on soit croyant ou pas, le temps de l’Avent est un moment particulier dans l’attente du solstice d’hiver où le mouvement repart en direction de la lumière.
Ouvrir chaque jour une, des fenêtres vers la lumière : documenter la façon dont les artistes photographes regardent les fenêtres.
Photographie, du grec ancien φῶς, φωτός, phôs, phôtós, lumière et γράφω, gráphô, écrire, littéralement : écrire avec la lumière.

Hôtel de Sebald 4,Sebaldiana.Memento mori (2019), Elina Brotherus

C’est toujours une joie très particulière de découvrir le travail d’une artiste et plus encore de la partager !
Sur son site, je lis qu’Elina Brotherus est l’une des artistes contemporaines les plus reconnues de Scandinavie, que son art oscille entre des approches autobiographiques et des références à l’histoire de l’art.

Cette série de 2019, Sebaldiana.Memento mori, dont sont extraites ces images, a retenu mon attention.
Elina Brotherus la présente ainsi :
Avant ma première visite en Corse, j’ai lu une collection de fragments de textes de W. G. Sebald*, les éléments d’un livre sur la Corse qu’il n’a pas eu le temps de terminer avant sa mort prématurée. Sebald est un écrivain hors norme et difficile à classer : à mi-chemin entre essayiste, romancier et historien, il est érudit sans être sec, poétique sans être sentimental, abordant des sujets profondément humains liés à l’Europe d’après-guerre avec un grand sens de l’historicité. Son usage des photographies dans ses livres a inspiré de nombreux artistes.

Hôtel de Sebald 5,Sebaldiana.Memento mori (2019), Elina Brotherus

Sebald évoque un hôtel perché sur les falaises rouges escarpées qui dominent le village de Piana, sur la côte ouest de la Corse. Son narrateur va nager depuis une plage isolée toute proche et manque de ne pas revenir à la rive. Dans le cimetière du village, il observe les petites herbes sauvages qui poussent entre les tombes, modestes créations de la nature, non plantées et non planifiées, en contraste frappant avec les plantations austères mais entretenues des cimetières de son Allemagne natale. Il parle ensuite de l’utilisation relativement récente des cimetières en Corse. La vieille habitude était d’enterrer les morts dans un endroit beau de leur propre terre, peut-être sous un arbre particulier ou sur la pente derrière la maison, d’où ils pouvaient continuer à contempler la vue sur leur territoire ancestral. Les plus pauvres, qui n’avaient pas de terre, étaient simplement placés dans une fosse commune ou dans un ravin de montagne.

Sebald est devenu mon guide en Corse. J’ai visité les lieux qu’il mentionne : la forêt d’Aïtone, le massif de Bavella, l’hôtel, la plage, le cimetière de Piana et son arrière-pays aux formations rocheuses sculpturales. Je me souvenais de mes défunts. Je cherchais des lieux si beaux que j’aurais voulu les y enterrer, si j’avais été Corse. J’ai recueilli des herbes modestes au cimetière de Piana pour composer un herbier.

Hôtel de Sebald 3,Sebaldiana.Memento mori (2019), Elina Brotherus

Mon père était photographe amateur et m’a offert mon premier appareil photo. Lorsque ma mère est devenue veuve à l’âge de 37 ans, elle est allée à l’école d’art et y a vécu quatre années d’épanouissement. Je suis photographe grâce à mon père, mais je suis artiste grâce à ma mère.

Ma mère est morte quatre ans plus tard, à l’âge de 41 ans. Elle était née la même année que Sebald mais est morte 16 ans avant lui. Récemment, j’ai retrouvé du papier aquarelle qu’elle n’avait pas eu le temps d’utiliser. Les feuilles avaient souffert de l’humidité, étaient tachées, partiellement moisies. C’est ce papier que j’ai utilisé pour créer mon Herbarium Pianense, l’herbier cyanotype du cimetière. Ainsi, cette œuvre est devenue un hommage non seulement à l’Île de Beauté et à mon écrivain préféré, mais aussi à ma mère, Ulla Brita Brotherus, née Sommar (1944-1985).


* W. G. Sebald, Campo Santo, chez Actes Sud

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