La Vierge au manteau rouge est enchâssée dans une icône de la Nativité, peinte par un anonyme de l’école créto-vénitienne, vers 1480-1500. Une détrempe sur bois de 65 x 80,8 cm conservée à Paris au Petit Palais.

La Vierge nimbée d’or allongée sur un grand manteau rouge regarde non pas un mais deux enfants Jésus.
La jolie voix de Raphaëlle Ziadé1 — spécialiste du christianisme oriental — m’apprend que Marie étendue sur ce coussin rouge qui l’isole du monde et signifie sa dimension sacrée, regarde son enfant représenté deux fois. Dans cette icône, différents temps du récit sont en effet juxtaposés : l’enfant nouveau né emmailloté et l’enfant nu à qui l’on donne son premier bain sont présents en même temps dans l’image.
L’enfant Jésus dans sa mangeoire, déjà le sépulcre, est entouré des bandelettes, déjà aussi les bandelettes de la mort ; et ce gouffre à côté duquel est posé la mangeoire qui pourrait le happer, c’est déjà le tombeau dans la montagne, celui dans lequel le Christ va être déposé. Puisqu’il échappe au gouffre, la crucifixion et la résurrection sont présentes dans cette scène de la Nativité.
Au premier plan de l’icône l’enfant est lavé par deux servantes. Cela est présent dans les Évangiles apocryphes2 mais a surtout une signification théologique primordiale. Cet enfant est lavé parce qu’il est Homme et comme tout Homme qui vient au monde, il a besoin d’être nettoyé. Il porte l’auréole qui signifie sa divinité mais il est l’enfant qu’on vient laver, il est donc Homme et Dieu, c’est la traduction en image des conclusions du Concile de Chalcédoine3.
Lorsque que l’on regarde cette image, on voit plutôt un tableau qu’une icône, en tout cas une œuvre qui ne ressemble pas à l’idée qui vient spontanément à l’esprit quand on pense aux icônes.
C’est qu’il y a deux sortes d’icônes, d’une part celles qui nous présentent le portrait d’un saint de face, et d’autre part les icônes narratives, qui racontent une histoire. Et dans l’orthodoxie4, la Nativité est tout un récit qui est mis sous les yeux. L’icône de la Nativité du Petit Palais est tout à fait conforme à des canons qui sont fixés dès l’époque médiévale : on voit des Nativités identiques sur les murs des monastères du mont Athos dans le Nord de la Grèce, elle est donc vraiment canonique.

Une chose intrigue cependant en observant l’arrière plan avec attention. On aperçoit un, puis deux villages flanqués de petits châteaux et une étendue d’eau entourée de montagnes bleutées dans les lointains.
On voit plus là un canon de la peinture italienne qu’une représentation byzantine.
Raphaëlle Ziadée explique que, comme on le constate dans cette icône crétoise du Petit Palais, les artistes byzantins sont gagnés par les innovations de leur temps. Ces artistes quittent Constantinople en 1453 à la chute de l’Empire byzantin pris par les turcs, ils se réfugient en Crète qui est alors vénitienne. Ils rencontrent dans cette île italienne les innovations de la Renaissance, la perspective linéaire en particulier et l’émergence des sentiments.
Les peintres s’emparent de ces innovations de l’Europe occidentale, mais avec mesure. Ils le font notamment dans les bordures, dans les fonds, dans les paysages, dans les architectures mais pas pour le thème principal. Le centre de l’icône, le personnage principal, reste typiquement byzantin.
À vous qui me lisez, je recommande, quand vous irez contempler cette icône au Petit Palais —parce que vous irez, n’est-ce pas ? —, de glisser dans votre poche un petit papier sur lequel vous aurez pris soin de noter les mots de Joseph de Volokolamsk5 — supérieur d’un monastère russe orthodoxe du XVe siècle —, un extrait du « Discours sur la révélation des icônes » :
« De l’image visible, l’esprit s’élance vers le divin. Ce n’est pas l’objet, l’icône matérielle qui est vénérée mais la beauté par ressemblance que l’icône transmet mystérieusement. »
1/ Propos de Raphaëlle Ziadé, docteur en histoire des religions, spécialiste du christianisme oriental, interrogée par Jean de Loisy dans son émission L’art est la matière du 24 décembre 2017, à écouter sans modération 😉
> Raphaëlle Ziadé est aussi l’auteur du catalogue de l’exposition du Petit Palais.
2/ Apocryphe, adj. et subst.
−RELIG.,adj. [En parlant d’un texte, d’un livre] Dont l’Église ne reconnaît pas l’origine divine, qu’elle place hors du canon des Livres inspirés.
3/ Concile de Chalcédoine est le quatrième concile œcuménique du christianisme. Il a eu lieu du 8 octobre au 1er novembre 451. Ses principales conclusions, définissent le dyophysisme, c’est-à-dire les deux natures du Christ, vrai Dieu et vrai homme, parfait dans sa divinité comme dans son humanité.
4/ Orthodoxie, au sens de doctrine religieuse des Églises chrétiennes d’Orient (notamment grecque et russe).
5/ Joseph de Volokolamsk, higoumène du Monastère Saint-Joseph de Volokolamsk qu’il fonde en 1479.
On peut aussi écouter l’extrait du « Discours sur la révélation des icônes », lu par Pascal N’Zonzi dans l’émission de Jean de Loisy.