Lorsque j’entre dans un musée, j’essaie de me présenter devant les oeuvres sans pensées. Je m’arrête longuement devant chacune, attends de passer, peut-être, d’un regard à une contemplation, que quelque chose m’appelle.
Parfois rien ne se produit. Mais, il y a quelques jours, déambulant devant les calligraphies de l’exposition L’empire de l’encre au Musée national des arts asiatiques Guimet, je fus saisie d’une grande émotion.
Il arrive que les impressions soient fugaces et ne se renouvellent pas lors d’une seconde lecture. Aussi parcourus-je avec délectation cette exposition des nouvelles créations de calligraphie contemporaine japonaise de la fondation Mainichi Shodokai, réalisées spécifiquement pour cette occasion. «Héritier de la calligraphie chinoise introduite au Japon au Ve siècle, le Shodo (voie calligraphique) est considéré comme l’un des plus prestigieux arts visuels. Cet art de l’instant occupe une place fondamentale dans l’histoire de l’art du Japon, où la peinture, fille de la calligraphie, exige la même maîtrise du trait et exalte l’espace.» (1)
Cependant, je finis, imperceptiblement, par accélérer le pas pour revenir à l’œuvre de Tsujimoto qui m’avait tant bouleversée.
J’y avais en effet été subjuguée par la présence d’une Annonciation, si souvent et magnifiquement représentée dans la peinture occidentale.
Elle était toujours là. D’autant plus troublante qu’apparaissant dans un contexte culturel si éloigné.
« L’Annonciation c’est le moment où l’ange Gabriel salue Marie et lui annonce qu’elle aura un enfant qui sera le fils de Dieu ; elle demande à l’Ange comment cela sera possible puisqu’elle n’a jamais connu d’homme et il lui répond : « car rien n’est impossible à Dieu qui est tout verbe », et elle dit alors « Ecce ancilla Domini », « Je suis la servante du seigneur », et dans l’instant l’Incarnation est faite.» , expliquait Daniel Arasse sur les ondes de France Culture dans la série Histoires de peintures en 2003.
« (…) Dieu qui est tout verbe». Le verbe, la parole de Dieu dans la théologie chrétienne, s’est fait chair et s’est incarné.
Lisant le cartel, je réalisai que cette vision était plus profonde encore qu’elle n’y paraissait ne tenant pas seulement à la forme apparue mais aussi au sens des caractères, des mots ici tracés par Tsujimoto.
Parce qu’ils sont la transcription de La Vague, poème de Yoshida kanako (né en 1948) :
« La vague, en mots de lumière, elle parle ».
La vague des paroles que l’archange Gabriel adresse à la Vierge Marie est, elle aussi, faite de mots de lumière.
Et de m’interroger sur la portée universelle du dogme de l’incarnation, « où l’infini change de nature et s’incarne dans un corps opaque » (2), ici dans l’opacité de l’encre de chine.
« La sérénité doit conduire le pinceau, traduisant l’inconscient le plus profond, en lien avec les sens et les émotions du Maître. Voilà qui intègre la calligraphie dans la quête d’une voie.» (3)
Notes
(1) & (3) Présentation de l’exposition au Musée Guimet
(2) Daniel Arasse, Histoires de peintures, France Culture / Denoël