Tant de propos tenus sur ce portrait, par Léonard, de Lisa Gherardini, épouse de Francesco del Giocondo, marchand d’étoffes florentin !
Le chef-d’œuvre de Vinci qu’il est si malaisé – dans la salle 6, au premier étage de l’aile Denon au Louvre – d’apercevoir aujourd’hui autrement que sur les minuscules écrans de la forêt de smartphones s’interposant entre nos yeux et son écrin de verre au loin, a suscité l’admiration et autant d’hommages sacrilèges, dont celui, moustachu de Marcel Duchamp.
Mais je ne résiste pas au bonheur de partager ici quelques extraits de l’analyse savoureuse et peut-être moins connue, qu’en a fait le brillant historien d’art Daniel Arasse (1944-2003) ; ainsi que les nouvelles photos de l’œuvre que la Réunion des Musées Nationaux met à la disposition du public.
Daniel Arasse fait – dans ses Histoires de peintures -apparaître dans ce si célèbre tableau «beaucoup de choses qu’on ne voit pas», détails étranges et réflexions qui ne laissent d’étonner. Et sa brillante analyse est en outre d’un humour irrésistible.

Portrait de Lisa Gherardini, épouse de Francesco del Giocondo, dite Monna Lisa, La Gioconda ou la Joconde, vers 1503 – 1519 – Leonardo di ser Piero Da Vinci, dit Léonard de Vinci (Vinci, 1452 – Amboise, 1519), peint à Florence, Huile sur bois de peuplier, 77 x 53 cm, acquis par François Ier en 1518.
Arasse commence par une description de l’architecture dans laquelle s’inscrit Monna Lisa. «D’abord, la Joconde est assise dans une loggia, c’est-à-dire qu’il y a des colonnes de part et d’autre, sur les bords droit et gauche, jointes par le muret, derrière elle. Elle tourne le dos au paysage, qui est très lointain. Ensuite, elle est assise dans un fauteuil, je le sais uniquement parce que le bras gauche de la figure est appuyé, parallèlement au plan de l’image, sur un accoudoir. Mais cet accoudoir est l’unique trace du fauteuil, il n’y a pas de dossier, ce qui est étrange.»
Puis il s’attache à celle du paysage, en arrière plan du tableau nous montrant qu’il est « curieux puisqu’il est composé uniquement de rochers, de terre et d’eau. Il n’y a pas une seule construction humaine, pas un arbre,(…). »
«Et puis, il y a le sourire…En fait, c’est Léonard qui a inventé l’idée de faire un portrait avec un sourire(…). »
Le mystère de Monna Lisa « n’est pas dans ce qu’on invente autour mais dans le tableau lui-même. Le mari (…) offre à sa femme son portrait par maître Léonard. Elle ne l’aura jamais puisque Léonard le gardera pour lui. C’est en tout cas un tableau de bonheur, où une jeune-femme de vingt-deux ou vingt-trois ans, qui a déjà donné deux enfants mâles à son mari, viables à la naissance, est honoré par l’amour de celui-ci à travers ce portrait.(…) »
C’est là le passage le plus savoureux de l’analyse subtile et passionnante de l’historien qui développe sa vision du paysage en arrière-plan, là aussi que l’on comprend ce qui fait que ce sourire est magnétique.
« (…) En fait, ce qui me fascine, c’est ce qui lie profondément la figure au paysage de l’arrière-plan. Si vous regardez bien ce dernier, vous vous rendrez compte qu’il est incohérent, c’est-à-dire que dans la partie droite, du point de vue du spectateur, vous avez des montagnes très hautes, et tout en haut un lac, plat, comme un miroir, qui donne une ligne d’horizon très élevée. »
« Dans la partie gauche, au contraire, le paysage est beaucoup plus bas, et il n’y a pas moyen de concevoir le passage entre ces deux parties. En réalité, il y a un hiatus caché, transformé par la figure elle-même et par le sourire de la Joconde. La bouche se relève très légèrement de ce côté-là, et la transition impossible entre les deux parties se fait dans la figure, par le sourire de la figure.»
Comme Daniel Arasse nous y invite, on pourrait s’exclamer « et alors ?»
À quoi il répond : « Eh bien, je crois qu’à ce moment-là il faut avoir lu les textes de Léonard, se rappeler qu’il était un grand admirateur d’Ovide et de ses Métamorphoses, et que pour Léonard comme pour Ovide (…), la beauté est éphémère. (…) la Joconde c’est la grâce, la grâce d’un sourire. Or, le sourire est éphémère, ça ne dure qu’un instant. Et c’est ce sourire de la grâce qui fait l’union du chaos du paysage qui est derrière, c’est-à-dire que du chaos on passe à la grâce, et de la grâce on repassera au chaos. Il s’agit donc d’une méditation sur une double temporalité, et nous sommes là au cœur du problème du portrait, puisque le portrait est inévitablement une méditation sur le temps qui passe. (…)»
Lisez le texte complet de Daniel Arasse :
Histoires de peintures, éd. France culture / Denoël, La joconde, page 25
Ou écoutez-le sur le site de France-culture
arianebiet
L’annee derniere nous avons eu ici la fausse vraie « jeune » Mona Lisa!
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