Raphaël, encore…
Si la Donna velata -vêtue de clair sur un fond sombre – est le plus beau portrait de femme de Raphaël, on ne peut se priver du plaisir d’évoquer celui de Baldassare Castiglione -vêtu de sombre sur un fond clair- qui est son plus beau portrait d’homme.
Le visage de la dame voilée incarne l’amour, celui-ci l’amitié avec pour tous deux une même nuance de mélancolie dans le regard. Dans ces deux portraits, le maître d’Urbino reprend le modèle de la Joconde avec cette pose idéale préconisée par Léonard, buste de trois quart et visage tourné vers le spectateur.
Né près de Mantoue en 1478, cinq ans avant Raphaël, le comte Baldassare Castiglione, écrivain et diplomate, rencontre le peintre à Urbino. Les deux hommes se lient d’une vibrante amitié. Il commande son portrait à Raphaël en 1514 ou 1515.
Après la mort de Raphaël, Castiglione emportera son portrait partout avec lui. Puis le tableau passera entre les mains de différents propriétaires avant d’entrer dans les collections de Louis XIV à Versailles. En 1793, le portrait fait partie des premières collections du nouveau Musée du Louvre où il occupera toujours une place d’honneur. Lorsque la Joconde, volée en 1911, disparaît pendant deux ans, c’est Castiglione qui la remplace au centre d’un des murs du salon carré. Ce portrait grandeur nature à l’extraordinaire modernité sera copié par les successeurs de Raphaël, peut-être frappés par la prestance du personnage : Rubens, Rembrandt, Delacroix, Maurice Denis, Matisse.

Portrait de Baldassare Castiglione (1478-1529), Raffaello Sanzio, dit Raphaël (1483-1520), entre 1514 et 1515, Huile sur toile, 82 x 67 cm, Musée du Louvre, Paris.
Après une heureuse restauration, en 1975, le portrait, débarrassé des nombreuses couches de vernis qui l’étouffaient d’une gangue d’ocres, a retrouvé ses couleurs d’origine et notamment ses yeux d’un bleu azur dense tirant un peu sur le vert.
Je vais souvent me plonger dans ce regard empreint de bonté qui diffuse son calme attentif et serein dans la grande galerie du Louvre.
Comme pour la Donna velata, le tableau se décline dans une gamme étroite de couleurs qui engendrent pourtant un grand nombre de variations, dans la fourrure soyeuse, dans la barbe de philosophe et dans les carnations ombrées.
Castiglione, dans son célèbre ouvrage Le livre du courtisan, prône l’austérité espagnole du costume : « Il me plait qu’il tire toujours un peu plus sur le grave et le sombre que sur le gai, car il me semble qu’une plus grande grâce est donnée au vêtement par la couleur noire que par aucune autre (…) ». Noir profond du velours du pourpoint en opposition avec le jabot blanc de la chemise plissée, gris veloutés des amples manches bouffantes de fourrure de petit gris, l’écureuil du Nord ou de Sibérie.
Du même animal, on tirait les meilleurs pinceaux.