Calendrier de l’Avent très très en retard / 24 gestes #22

Une tradition détournée, une petite étude de la représentation des attitudes des mains des femmes par les artistes.
Une série d’ex-voto de gestes, de ces mains féminines touchantes et touchées.

Aujourd’hui : évoquer en images les attitudes et gestes qui pensent et dénoncent l’invisibilisation des femmes dans l’art…

breaking-free © Melissa Ortiz

L’Histoire a l’habitude de se dispenser des femmes, l’histoire de l’art en fait tout autant.
Comme l’avait rappelé Camille Morineau – conservatrice du patrimoine, directrice de l’association Aware (Archives of Women Artists, Research and Exhibitions…) et commissaire d’exposition – dans une interview à Libération, « la pulsion artistique existe autant chez les hommes que chez les femmes. Il y a toujours eu des femmes artistes, mais on a tout simplement ignoré leur travail et l’histoire les a oubliées
.

Vanessa, 1937, Ethel Walker (1861-1951), huile sur toile, 61 x 50,8 cm, Londres, New Tate

Un oubli qui nous rend toutes et tous ignorant.e.s d’une partie de notre patrimoine culturel et artistique : en effet, en dehors de quelques références, qui connaît les noms de ces femmes architectes, compositrices, artistes, cinéastes, écrivaines qui ont participé à l’édification de notre culture ?

Depuis de nombreuses années maintenant, des chercheur.euse.s, collectifs et associations, alertent sur l’invisibilisation des femmes et tentent de redonner leur place à ces créatrices qui constituent le capital artistique et culturel de l’humanité. 

Anne de Gelas, 2015

Quelle que soit la discipline, jeune ou ancestrale, les noms des femmes restent cruellement invisibles. Pour preuve, né alors que les mouvements féministes se créaient, l’art encore jeune qu’est le cinéma s’est déjà construit un panthéon bien masculin : qui hormis les cinéphiles averti.e.s connaît l’œuvre d’Alice Guy ? Qui sait que Musidora – égérie des Surréalistes – fut productrice dès 1917 ? ou encore que la journaliste Germaine Dulac a, elle, créé la compagnie DH Films en 1916 ? Sans parler de Jacqueline Audry, cinéaste, qui de 1945 à 1968, a réalisé seize longs métrages de fiction, ce qui en fait la plus prolifique au monde. 

Si les compositrices classiques des siècles passés restent nimbées d’un mystère délétère, Lisa Rovner dans son film « Sisters with transistors » a cherché à rendre leur place à Clara Rockmore, Delia Derbyshire ou encore Wendy Carlos, pionnières de la musique… électronique. 

My Corona Diary © Sabine Pigalle – Courtesy Centre d’Art Matmut

Et lorsque l’on cite « Angélique Mongez », « Adélaïde Labille-Guiard », « Hortense Haudebourt-Lescot » … qui peut dire à quelle discipline et quels siècles rattacher ces noms ? Qui connaît ces femmes peintres ayant exercé entre la fin du XVIIIe et le début du XIXe siècle ? De même, quelle place dans nos bibliothèques pour les œuvres de Catherine Bernard, Marie-Anne Barbier, Marceline Desbordes-Valmore ou encore Hélène Bessette ? Oubliées des livres d’histoire de l’art, comment peuvent-elles être connues du grand public ?

Dina Oganova est née en 1987 

Grâce aux travaux et aux mobilisations des différentes associations, et avec le concours froid des données, on mesure mieux l’étendue de l’invisibilisation.
Ainsi « la base de données Joconde », qui répertorie les œuvres des musées français, permet de comptabiliser dans les collections du Louvre — qui rappelons-le couvre une (plus que vaste !) période allant de l’Antiquité au milieu du XIXème siècle — 42 peintures exécutées par 28 femmes, sur un total de 5387 œuvres, soit 0,78 % du corpus. Un chiffre qui en dit long.

Expectation from reenactments, 1976, Valie Export (artiste autrichienne née en 1940 ), photomontage, 144,8 cm, collection privée

Héloïse Luzzati, violoncelliste formée au Conservatoire de Paris et fondatrice de l’association « Elles Creative Women », apporte un regard similaire quant au monde musical : seulement 1 % des œuvres jouées en salle sont des pièces de compositrices classiques. 

Le Collectif 50/50, en 2018, a publié une étude révélant que, de 1946 à 2017, la part de réalisatrices dans la sélection officielle du festival de Cannes n’a jamais dépassé les 20% et seuls 7% des grands prix ont été remportés par des femmes.

The Bedroom, Anja Niemi (artiste norvégienne née en 1976)

Comment expliquer concrètement ce résultat ?  Pour Charlotte Foucher Zarmanian, docteure en histoire de l’art et chercheuse au CNRS au sein du Legs (Laboratoire d’études de genre et de sexualité) : « Faire de l’histoire, c’est faire des choix, donc exclure. En histoire de l’art, il y a eu une mise à l’écart des femmes, qui n’était pas forcément conscientisée. ».
Car pour certaines disciplines, il s’agit bien de sélection a posteriori. Martine Lacas rappelle ainsi qu’à la fin du XVIIIe siècle les femmes peintres étaient aussi bien considérées que les hommes.

 Elisabeth II, le couloir, Les Douze heures du jour et de la nuit, Elsa&Johanna, représentées par la Galerie La Forest Divonne

Une histoire un peu différente pour d’autres disciplines dans lesquelles, la société de leur temps leur a tout simplement refusé les moyens de faire entendre leur voix. Prenons l’exemple de l’architecture : étant donné leur place, les femmes ont joué un rôle et marqué leur trace dans l’architecture vernaculaire. Par la suite, elles ont été mises à l’écart des métiers technologiques et prestigieux et éloignées de la formation académique jusqu’au début du XXème siècle, époque à laquelle la profession d’architecte et ses écoles se sont ouvertes aux femmes.

Para um enriquecimento interior, 1976, Helena Almeida (1934-2018), Acrílico sobre fotografías, 181,5 x 156 cm, Museo de arte contemporaneo Helga de Alvear

L’espace public au XXIe siècle continue de rendre les existences de ces artistes et intellectuelles invisibles :  les rues portant des noms de femmes pèsent à peine 5 % dans le total des rues baptisées d’un nom de personnage historique ou relevant du champ culturel.

Agnès-Varda, 1983, Bernard Gille

Les temps changent, heureusement et les expositions et manifestations mettant les artistes femmes à l’honneur sont nombreuses.


Textes extraits de L’invisibilisation des femmes dans l’art et la culture, tentatives de compréhension, Rachel Nullans, juillet 2021

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s