Calendrier de l’avent / 24 visages #14

Jolie jeune-femme de 24 ans, lorsque Ingres commence son portrait, Louise d’Haussonville est la petite fille de Madame de Staël, et la fille du duc de Broglie, un des plus importants ministres de la monarchie de juillet. Elle a épousé un diplomate, le Comte Othenin d’Haussonville et c’est à Rome, quelques années après leur mariage, que les d’Haussonville ont rencontré Ingres.
À Paris, la comtesse habite l’hôtel de Broglie, 35 rue Saint-Dominique où elle est ici représentée dans son intérieur luxueux, tête légèrement inclinée, soutenue par les doigts en arceau de la main gauche sur son bras plié, reposant lui-même sur la main droite, dans une étrange continuité de chair, pâle. Pose qui lui donne une expression pensive, un rien désabusée.

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Comtesse d’Haussonville (1818-1882), Jean-Auguste-Dominique Ingres (1780-1867), Huile sur toile, 1845, 131,8 x 92,1 cm, Frick Collection, New York.

Ingres exécute cette œuvre à partir de 1842, ce dont témoigne un dessin daté de cette année là (1) et il lui en faut trois de plus pour l’achever. Ce temps de réalisation est un temps de recherche, d’élaboration et de maturation du sujet, toujours très long chez lui qui ne veut pas seulement restituer une apparence mais surtout rendre compte d’un individu dans ses dimensions psychologiques, sociales, culturelles.
Comme il le dit lui-même : « Maudits portraits qui m’empêchent toujours de marcher aux grandes choses que je ne puis faire plus vite, tant un portrait est une chose difficile. »
Ce tableau reçoit un accueil enthousiaste quand Ingres le présente dans son atelier, puis au Bazar Bonne-Nouvelle en 1846. Il figure à l’Exposition universelle de 1855 où il représente comme le dit Théophile Gautier «la grande dame moderne».

jumelles.jpgDe tempérament libéral et indépendant, la comtesse d’Haussonville est une femme de lettres et une mélomane avertie. On remarque les jumelles posées sur la cheminée, laissant imaginer qu’elle rentre de l’Opéra.

Luminosité des détails, saturation de la couleur, netteté des formes des objets : tout impressionne vivement dans ce tableau.
Comme dans beaucoup de ses portraits de femme, la carnation est étrangement nébuleuse.

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Ingres la met en relief en l’opposant au métal du lourd bracelet d’or serti d’une turquoise, et de la bague-serpent, dite « à la Cléopâtre », très en vogue au milieu du XIXe.

Bijoux

Un miroir reflète le chignon natté retenu par un peigne en écaille et un ruban de satin rouge. On songe à d’autres reflets chez les maîtres de la Renaissance, comme la Femme au miroir (2) du grand Titien, qu’Ingres a pu admirer au Louvre. Et l’on dirait qu’il y a deux tableaux :  un portrait savant, avec la claire carnation des épaules, de la gorge et des bras, et dans la profondeur du miroir, le profil perdu, les épaules et la nuque douce, comme une citation de ses Baigneuses de dos (3).
miroir
Ces subtiles modulations de la peau humaine que le peintre honore de toute sa science des glacis (4) n’ont d’égal que l’éventail des étoffes dont sont vêtues les dames de la haute société qui posent pour Ingres, rivalisant de luxuriance, telle la soie bleu ciel de la robe de la Comtesse d’Haussonville.
Le coloris électrique des étoffes ingresques fascine en effet par son intensité chromatique qu’aucune peinture n’avait réussi à rendre aussi brillamment. Ses tissus n’ont rien des drapés antiques et sont dépeints sans complexe dans les détails modernes de leurs plissures naturelles. «Il faut consulter des fleurs pour trouver de beaux tons de draperie.», conseillait Ingres à ses élèves.

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Bleu céruléen les iris de ces yeux qui regardent sans voir, la robe de soie, bleu turquoise les pierres serties dans les bijoux, bleu marine le manteau de velours de la cheminée, bleu nuit les vases de Sèvres, bleu parme les tentures des murs ; d’Or les cheveux de la belle, le cadre du miroir, les piètements des vases, les bagues et le bracelet et jusqu’au châle négligemment posé sur le fauteuil de droite ; blanc rosé la chair du modèle, blanc éclatant les lambris, le satin des fauteuils, les lettres sur la cheminée.  Ingres notait : «Le blanc de l’œil a une partie plus claire qu’il est essentiel d’indiquer vivement : c’est celle qui avoisine la prunelle. » Tout dans le tableau n’est qu’harmonie de bleus, d’ors et de blancs, rehaussés par la touche de rouge du ruban de la coiffure, des fleurs délicates, et de leur reflets.

fauteuil
On palpe l’air qui nous sépare du fond, distance au mur qu’on sent très bien dans cette niche laissant deviner entre la cheminée et le coin de la pièce, le beau vide d’un espace suffisant pour y loger un fauteuil crapaud capitonné de blanc sur le côté duquel Ingres a apposé sa signature.

La robe du soir que porte Louise d’Haussonville pourrait parfaitement dater d’aujourd’hui et, que le tableau qui en conserve le souvenir soit d’une photogénie sans pareil dans l’histoire de la peinture, on peut comprendre l’immense postérité d’Ingres dans le nouveau monde. Plus de la moitié de ses portraits appartiennent en effet aux collections anglo-saxonnes de Londres, Washington, Philadelphie ou New York ici.

Et s’il faut voyager un peu pour les admirer, on peut louer en revanche l’esprit ouvert des musées américains qui permettent l’accès, sans contrepartie, aux images des œuvres en haute définition. Ce que n’autorise pas le site français de la Réunion des Musées Nationaux et encore moins le tout nouveau site Images d’art, annoncé à grands frais il y a peu…


 

(1), (2) et (3)
Ingres-Study-for-Vicomtesse-d-Haussonville-born-Louise-Albertine-de-Broglie2Titien

 

 

 

 

 

Jean-Auguste-Dominique_Ingres_-_La_Baigneuse_Valpinçon
(4) La superposition des glacis transparents permet de donner l’illusion du modelé sans qu’on puisse voir un seul coup de pinceau, voir ici un document très intéressant et complet sur la question.

 

 

2 réponses sur « Calendrier de l’avent / 24 visages #14 »

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