Le détail des anges est issu de La Nativité mystique, peinte entre 1501 et 1505 par Sandro Boticelli (1444-45-1510). Une huile sur toile de 108,5 x 74,9 cm, conservée à Londres, à la National Gallery.

Alessandro di Mariano di Vanni Filipepi, dit Sandro Botticelli, qui doit son surnom à Boticello, le maître orfèvre chez qui il a été placé avant d’être formé dans l’atelier de Fra Filippo Lippi.1
Comme l’écrit Giorgio Vasari dans ses Vies des artistes, Sandro dessinait bien et tellement au-dessus de l’ordinaire que longtemps après sa mort, les artistes s’ingénièrent pour se procurer ses dessins.2
Dans une Adoration des mages4 qu’il fera à la demande des Médicis — un hommage à la famille Médicis représentée là— Sandro Boticelli se peint au premier plan sur la droite du tableau, et nous regarde droit dans les yeux.
La Nativité mystique, est un tableau trop complexe pour en faire ici un présentation exhaustive.
C’est une œuvre tardive et exceptionnelle, la seule de Botticelli à être signée et datée.

C’est ce que l’on voit dans le haut du tableau, une longue inscription dans un grec approximatif : « Moi Alessandro ai fait ce tableau à la fin de l’an 1500 durant les troubles dont est victime l’Italie, à la moitié du temps après le temps accordé au onzième chapitre de Jean dans le second sceau de l’apocalypse après la disparition du diable pendant trois ans avant qu’il ne soit enchaîné au douzième chapitre [comme il s’est enterré lui-même] ». Ce qui semble assez obscur ! Ces mots renvoient au dernier texte du nouveau Testament, celui de l’Apocalypse de Jean. Quand aux « troubles dont est victime l’Italie », ils sont une référence à la situation religieuse et politique florentine à l’aube du XVIe siècle, avec les évènements tragiques constitués par la descente des troupes de Charles VIII qui envahissent l’Italie, l’exil de Florence de Pierre de Médicis et la prise de pouvoir par le parti de Girolamo Savonarola — frère dominicain, prédicateur et réformateur italien, qui institua et dirigea une terrible dictature théocratique à Florence de 1494 à 1498.

C’est la première fois, souligne Patrizia Nitti3, et d’une façon aussi évidente dans l’histoire de la peinture occidentale qu’un peintre parle de lui-même et ose le faire à la première personne. Ce privilège n’était consenti qu’aux poètes — Il suffit de se souvenir de Dante qui au XIVe siècle dans La Divine Comédie parle à la première personne comme s’il écrivait une autobiographie intellectuelle et morale. Boticelli vénérait Dante, il avait fait un cycle extraordinaire de dessins sur la Divine comédie5.
Les anges, auxquels je m’intéresse ici, apparaissent sur tous les plans du tableau. Ils y sont en mouvement ce dont témoigne les plis ondulants de leurs robes fluides comme agitées par la brise et leurs chevelures flottant librement. Comme l’écrit Georges Didi-Huberman, « Les personnages de Boticelli sont étrangement impassibles, mais tout s’émeut, se met en mouvement, tout s’anime à la bordure des corps. »6

Au dernier plan, en haut du tableau, au-dessus d’une demi-couronne d’arbres entourant la grotte, une grande trouée d’or ouvre dans le ciel d’azur un passage vers le paradis à l’orée duquel un groupe de douze anges aux ailes multicolores habillés de vert bronze, de rose et de blanc, forment une ronde, et tenant des branches d’olivier auxquelles sont accrochés des phylactères portant les inscriptions « Mère de Dieu », « Épouse de Dieu», « Unique reine du monde » ; douze couronnes sont suspendues à ses rubans et surplombent le haut de la crèche.
Les anges tourbillonnent comme s’ils voulaient aspirer vers le haut toute la représentation.
Cette ronde de douze anges correspond probablement aux douze heures du jour et aux douze mois de l’année, suivant les prêches de Girolamo Savonarola qui ont fortement influencé Boticelli à la fin de sa vie.

Sous l’éblouissant manège, trois anges plus petits juchés sur le toit de l’étable, entonnent un chant inscrit dans un livre qu’ils tiennent à quatre mains.
Plus bas encore, deux anges désignent l’enfant Jésus. L’un, vêtu de rose à gauche de la crèche, aux trois mages, l’autre, vêtu de blanc, à droite, à deux bergers aux pieds nus.

Au tout premier plan enfin, trois anges vêtus comme les anges chanteurs des couleurs des trois vertus théologales —blanc pour la Foi, rouge pour la Charité et vert pour l’Espérance — portent des branches d’oliviers et enlacent trois personnages portant robe et cape, couronnés d’oliviers. Des phylactères sur les groupes de gauche portent l’inscription : « Béni soit l’agneau de Dieu, qui a pris pour nous le péché du monde ». En regardant attentivement cette partie du tableau, on peut voir des diablotins qui s’enfuient épouvantés en se transperçant de leurs propres fourches et se poussant eux-mêmes dans les profondeurs à travers des crevasses dans le sol.
Cette œuvre combine en réalité le thème de la Nativité du Christ avec celui de la Parousie7, le retour du Christ sur terre avant le Jour du jugement comme promis dans le livre de l’Apocalypse : à ce moment-là on assistera à la réconciliation totale entre les hommes et Dieu, comme semblent l’annoncer les figures enlacées au premier plan. Les trois couples pourraient aussi désigner les moyens de vaincre la présence du mal par l’amour et la fraternité, par l’exemple des anges.
1/ Pour lire une description exhaustive de la biographie de Boticelli, ici
2/ Giorgio Vasari (1511-1574), Vies des artistes, Éd. Grasset, Coll. Les Cahiers Rouges, p. 155 et suiv.
3/ Patrizia Nitti, ancienne directrice artistique du Musée Maillol et du Musée du Luxembourg, extraits de La Nativité selon Botticelli, et quelques chefs d’oeuvre de la Renaissance italienne, avec Patrizia Nitti reçue par Krista Leuck, sur Canal Académie, le 19 décembre 2010.
4/ L’Adoration des mages, vers 1476, Sandro Boticelli (1445-1510), Tempera sur bois, 111 x 134 cm, Florence, Galerie des Offices
5/ La carte de l’Enfer, Sandro Boticelli, vers 1485, Pointe d’argent et encre, coloré à la détrempe sur parchemin, 32,5 x 47 cm, Bibliothèque apostolique vaticane
6/ Ninfa fluida, Essai sur le drapé-désir, Georges Didi-Huberman, Éd. Gallimard, coll. Art et artistes, p. 27
7/ Parousie, subst. fém.
Théol. cath. Retour glorieux du Christ sur terre, à la fin des temps.
C’est une notion chrétienne qui désigne la « seconde venue » du Christ sur la Terre dans sa gloire, la première étant sa naissance.