Une tradition détournée, une petite étude de la représentation des attitudes des mains des femmes par les artistes.
Une série d’ex-voto de gestes, de ces mains féminines touchantes et touchées.

Ce geste de lire, de tenir un livre entre ses mains, se mettre en retrait, écouter des voix, embrasser des images, apprendre, découvrir, rire et frémir. Lire.

Des livres, des livres partout, aussi loin que mes souvenirs refluent. En piles énormes sur la table de chevet de ma mère qui semblait envahie d’une telle félicité quand, chaque soir, elle se calait dans son lit contre un amoncellement d’oreillers et reprenait le fil de sa lecture. Des romans, toujours des romans. Et partout dans la maison jusque sur les marches de l’escalier.

Le bonheur de la lecture, je l’ai éprouvé avant même d’apprendre à lire. J’entends encore les modulations de la voix de ma grand-mère qui me lisait les aventures de Paul et Virginie les soirs d’été. Je me souviens d’un grand livre de contes chinois où une déesse de la pluie, assise dans un carrosse constellé de pierreries posé sur un nuage, puisait dans un grand chaudron l’eau qu’elle déversait sur la terre, et de Momotaro, l’enfant des pêches dans le grand livre des contes du Japon.

Ils sont tous là, présents encore, me constituent, m’ont construite. Tout comme les larmes d’adolescente versées lorsqu’Anna Karénine se jetait sur la voie de chemin de fer, le malaise étouffant du nénuphar qui poussait dans le poumon de Chloé et les anges qui entrouvraient les portes après la Mort des amants.

Parfois le livre demande un effort, le seuil n’est pas toujours de plein pied, la lente journée de Mrs Dalloway. Dans d’autres, je suis instantanément saisie, happée, captivée, Kafka sur son rivage.

Par dessus tout j’aime cette frontière, ce point de non retour, ce moment où je ne peux plus m’arrêter, où tout autre désir s’efface, où il faut absolument aller au bout.

Et toute interruption est une souffrance, je ne pense plus qu’à cela, Le maître et Marguerite. Quand mes yeux avalent enfin le tout dernier mot, un grand vide se fait. Je voudrais remonter le temps. Comme lorsqu’enfant je me donnais un âge plus avancé que le mien et réalisais, bien des années plus tard, le bien-être de ce temps à présent révolu.

Et que dire des premiers émois avec l’Amant de la Chine du Nord, du sourire du chat du Cheshire qui absorbe en disparaissant l’angoisse des situations absurdes, de la course folle du Bouzkachi dans la steppe avec les Cavaliers, laissant loin derrière moi les soucis ?

Lire c’est encore échanger, correspondre, s’enflammer. Existe-t-il, en effet, quelque chose de plus délicieux que de partager le goût, l’enchantement, l’étonnement de la lecture ?