Calendrier de l’avent / 24 visages #11

Ex-voto : « Tableau (ou objet symbolique) suspendu dans (une église,) un lieu vénéré, (à la suite d’un vœu ou) en remerciement d’une grâce obtenue. » lit-on dans le Petit Larousse.
Je vois, dans ce portrait d’Émile Zola par Édouard Manet, une forme d’ex-voto. On a plus ici affaire au portrait d’une personnalité, d’un métier, d’un goût qu’à un portait physique. Mais cela n’en atténue pas moins la ressemblance. Ce que nous aimons ne participe-t-il pas de ce que nous sommes ?

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Portrait d’Émile Zola 1840-1902), Édouard Manet (1832-1883), 1868, Huile sur toile, 146,5 x 114 cm, Musée d’Orsay, Paris.

En 1865,  Manet fait scandale au Salon(1) avec Olympia, nu réaliste d’une demi-mondaine transgressant les codes de l’Académie des Beaux Arts en ce qu’elle n’est ni une Vénus, ni une femme idéalisée. Pourtant Édouard Manet -fils d’un haut fonctionnaire de la justice et de la fille d’un diplomate en poste à Stockholm- est un bourgeois qui souhaite être adoubé par l’Académie.
L’année suivante ses toiles sont refusées au Salon. C’est là qu’Émile Zola -jeune journaliste et écrivain de 26 ans – entre en scène. Dans les pages de l’Évènement (2), il prend la défense de Manet dont, d’après lui, « la place est au Louvre ». Il soutient à nouveau le peintre en 1867 au moment où ce dernier organise une exposition personnelle en marge de la septième exposition universelle. Un an plus tard, Manet, reconnaissant, lui propose de peindre son portrait.

On a ici affaire à une mise en scène. Les séances de pose ont lieu dans l’atelier de Manet, rue Guyot, où il compose, pour la circonstance, l’environnement de Zola avec des objets emblématiques de sa personnalité, de ses inclinations, de son métier.
Le jeune auteur pose à sa table de travail, tenant un livre d’art illustré et semble en pleine réflexion, le regard au loin. Sur le bureau, des livres, un encrier, une plume. Parmi ces livres, la signature du tableau : une mince brochure à couverture bleue bien en vue sur la table, publication de l’article où Zola prend la défense de Manet un an plus tôt.
Dans un cadre au  mur sont rassemblées une reproduction d’Olympia de Manet, derrière celle-ci,  une gravure d’après Los borrachos de Velázquez et une estampe japonaise d’Utagawa Kuniaki II représentant un lutteur. À gauche un paravent japonais.

Manet Edouard (1832-1883). Paris, musÈe d'Orsay. RF2205.

Manet Edouard (1832-1883). Paris, musÈe d’Orsay. RF2205.

Selon le critique d’art Michael Fried (3), « une des particularités des gravures japonaises ukiyo-e est que les acteurs, courtisanes, beautés ou autres lutteurs, aux traits exagérés et grimaçants, ont un caractère théâtral. C’est un point commun avec la pose de certaines photographies de l’époque. Les unes comme les autres produisent instantanément, d’un coup, une impression puissante – accentuée par les contours continus, les zones clairement démarquées, les contrastes abrupts d’ombre et de lumière. Les photographies réalisées de cette façon donnent l’impression qu’elles proviennent de la réalité elle-même – ce qui était l’effet recherché par Manet, et peut-être l’explication de son intérêt pour les estampes japonaises.»
Zola avait déjà noté qu’il « serait (…) intéressant de comparer cette peinture simplifiée avec les gravures japonaises qui lui ressemblent par leur élégance étrange et leurs taches magnifiques.»(4)
L’importance de l’art japonais dans la naissance d’un art occidental moderne se manifeste ici sous le pinceau de Manet, peintre d’une rupture dans la peinture académique au milieu du XIXe siècle.
De nombreux critiques et historiens d’art ont vu ainsi dans ce tableau un double portrait, celui du modèle et celui du peintre.


(1) Salão-de-ParisAprès la Révolution française, le Salon s’ouvre à tous les artistes vivants et l’Académie se nomme désormais « l’Académie des Beaux-Arts » (1803). L’art officiel prévaut et impose ses thèmes très classiques centrés sur l’histoire et les mythologies grecque et romaine auxquels doivent se soumettre les candidats au Prix de Rome. Le Salon carré devenant très vite trop petit, l’exposition envahit la Galerie d’Apollon et la Grande Galerie du Louvre.

(2) L’Évènement, tout jeune quotidien littéraire est créé en novembre 1865 par Hippolyte de Villemessant, le créateur du Figaro.

(3) Michael Fried, Le Modernisme de Manet ou Le visage de la peinture dans les années 1860, Trad. de l’anglais (États-Unis) par Claire Brunet, Collection NRF Essais, Gallimard, Paru le 25 avril 2000.

(4)  On peut consulter l’Étude biographique et critique de Manet par Zola sur le site de la BNF.

 

Une réponse sur « Calendrier de l’avent / 24 visages #11 »

  1. arianebiet

    Quel bonheur d’ouvrir ces cases du calendrier de l’avent au réveil! Et surtout d’apprendre autant de choses! IL faut vraiment que tu viennes voir l’expo car nous avons une magnifique estampe Ukiyo-e de Mrs Takashima se remettant du rouge à lèvres!

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